IL N’Y A DE RÉEL QUE L’AMOUR
Enrique Martínez LozanoJn 13, 31-35
"Seul l'amour est réel. Seul l'amour a toujours été vrai"(Jeff Foster). Quand, face à l’enchevêtrement de normes du judaïsme de son temps, qui avait élaboré une liste de plus de six cents ordres et interdits, Jésus ramène tout à un seul commandement, non pas seulement il remplace un code moral par un autre, mais il révéle le secret dernier du Réel.
Quand dans la tradition chrétienne elle-même on dit que «Dieu est amour» (1 Jn 4,8), on est en train de proclamer la même chose: le mystère ultime, Ce qui est, est Amour.
L’amour dont on parle ici n’a rien à voir avec les mouvements sensibles, propre à l’ego, il s’identifie plutôt avec la conscience de la non-séparation de rien. À mesure que cette conscience se développe chez une personne, son amour grandit.
Un membre du corps sent amour pour tout autre membre: lorsque nous souffrons de la tête, la main court immédiatement à son aide, avant même d’y penser. Parce qu'il a une claire conscience d'être la même chose, un même corps.
Cela signifie, tout simplement, que Conscience est Amour. Puisque Jésus a vécu à un niveau de conscience transpersonnelle -au-delà du je (moi) individuel-, il se sentait un avec toute la réalité: avec le Fond dernier (ultime) ou Dieu («Le Père et moi sommes un »« Qui me voit, voit le Père »), avec tous les êtres humains (« ce que vous avez fait à chacun de ces petits, c’est à moi que vous l'avez fait»), avec le pain, quant à symbole de tout le réel («ceci c'est moi», «ceci est mon corps") ...
Celui qui se sait, à un niveau plus profond, un avec tous et avec tout ne peut ne pas aimer. L’amour, donc, n’est pas un mandat, mais une conséquence de la compréhension de qui nous sommes.
Or, étant donné que les deux termes -Conscience et Amour- sont équivalents, tout comme la croissance en conscience nous ouvre à la capacité d'aimer, tout acte d'amour gratuit nous fait grandir en conscience de qui nous sommes. Parce que l'amour nous désegocentre, nous laissons de vivre préoccupés de nous-mêmes et nous nous ouvrons aux besoins des autres. C’est pourquoi, les paroles d'Albert Einstein me semblent profondement : «La maturité commence à se manifester lorsque nous sentons que notre préoccupation est plus grande pour les autres que pour nous-mêmes".
C'est pourquoi il me semble aussi si admirablement cohérent et sage l'Évangile et la proposition de Jésus. Les traditions spirituelles ont proposé trois chemins pour le «réveil»: le chemin de la connaissance (jnana yoga), de la dévotion (bhakti yoga) et de l'action désappropriée (karma yoga). On ne privilegie pas seulement l’un sur l’autre, mais on invite chaque personne à devenir consciente de quel de ces chemins s’ajuste le plus adéquatement à elle-même.
Tant dans le fait de silencier notre esprit –en attirant toute l’attention sur la Conscience qui es-, comme dans l’offrande amoureuse à la divinité, comme dans une expérience livrée au moment présent, le je (moi) finit par se diluer pour émerger la non-dulaité brillante et lumineuse de tout ce qui est. Sujet et objet, qui perçoit et qui est perçu sont transcendés dans un continuum de conscience non-différenciée. Les suposées séparations tombent et il ne reste que Cela non-dual, que vous êtes aussi.
En Jésus de Nazareth, nous trouvons une voie qui, sans s’opposer aux trois chemins mentionnés, apporte sa propre originalité: la voie de l’amour compassif à la personne ayant besoin, tel qu’on le souligne dans la parabole bien connue du "bon samaritain" (Luc 10:25-37).
C’est pourquoi, on pourrait dire que le chemin vécu et proposé par Jésus se synthétise dans la phrase avec laquelle la parabole termine: «Va, et fais de même» (Lc 10,37). Parce que, comme le Popol Vuh (ou Livre du Conseil des Mayas) dit, "quand vous aurez à choisir entre deux voies, demandez-vous lequel d'entre eux a du cœur. Celui qui choisit la voie du cœur ne se trompe jamais. "
Le chemin de la connaissance contribue à l'émergence du Je Suis. Le chemin affectif –d’offrande à la divinité- maximise l’unité dans le Je Suis. Le chemin de l'action désappropriée fait vivre connecté avec le Je Suis. Le chemin de la compassion se montre comme expression du Je Suis.
Eux tous sont complémentaires. En outre, en avançant en chacun d’eux, il se produit un déploiement dans ce qu’on vit des autres chemins. Finalement, il s’agit tout simplement d’apprendre à demeurer en connexion avec notre identité profonde ..., en savourant ce que nous sommes et en nous exerçant à nous vivre à partir de là.
Ce qui semble évident, c'est que la transformation surgit de la compréhension, comme l'irradiation de Ce qui est. Et Ce qui est, est Amour, Conscience d'unité. C'est cette même Conscience qui est à l'origine de tout, comme force d'intégration qui régit le processus de l'évolution, s’exprimant et se déployant dans les infinies variations où se manifeste le Réel.
Nous nous sommes cette unique Conscience: connaître cela est sagesse; le vivre est amour.
Enrique Martínez Lozano
Traducteur: María Ortega