Lc 5, 1-11

INTRODUCTION

Les trois lectures d'aujourd'hui vont dans le même sens. Expérience de l'indignité devant la proximité du divin et surprise en découvrant ce que sont les protagonistes du fait de cette proximité.

. Isaïe (Is 6, 1-8) découvre qu'il est un homme aux lèvres impures, mais touché par le feu, il se croit qualifié pour la mission. Me voici, envoie moi.
. Paul (1 Cor 15, 1-11) qui se considère comme un avorton, reconnaît qu'il a plus travaillé qu'eux tous, « non pas moi, mais la grâce de Dieu en moi ».
. Pierre (Lc 5, 1-11) se reconnaît « pécheur » et demande à Jésus de s'éloigner de lui, mais « laissant tout, il le suivit ». Dans les trois cas il s'agit de proclamer la force de Dieu.

CONTEXTE

Nous avons sauté plusieurs épisodes de la lecture de dimanche dernier. La première prédication dans la synagogue de Capharnaüm, la guérison d'un possédé, celle de la belle-mère de Pierre et d'autres malades qu'on lui amenait. Nous commençons aujourd'hui le chapitre 5 avec un épisode multiple: la multitude qui se bouscule autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, l'enseignement depuis la barque; l'invitation à retourner à la mer; pêche inattendue; la confession de l'indignité de Pierre; l'appel des disciples; l'adhésion immédiate.

EXPLICATION

Le récit de Luc que nous venons de lire a beaucoup en commun avec celui de Jean au chapitre 21, après la résurrection. Ici c'est Pierre qui part pour pêcher dans sa barque. Il s'agit là aussi d'une nuit de pêche infructueuse. Contre toute logique, Jésus leur ordonne de jeter les filets à cette heure matinale et à cet endroit-là. Même résultat d'une pêche abondante. Ainsi que la réponse précipitée de Pierre d'aller vers Jésus. Etant donné le symbolisme qui baigne tout le récit, il a plus de sens dans le climat de Pâques. De fait, Pierre appelle Jésus « Seigneur », titre que seuls les premiers chrétiens lui donnaient. Quand ces évangiles ont été écrits, la « barque » était déjà considérée comme le symbole de l'Eglise en marche au milieu du monde hostile.

Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre. Le fait que la pêche abondante soit précédée d'un échec total a un sens théologique très profond. Quand les hommes agissent pour leur compte et à leurs risques, cela mène à l'échec. La réussite viendra quand on agit au nom de Jésus. « Au nom de Jésus » signifie naturellement qu'il nous faut agir en accord avec sa façon de penser, d'agir et de parler, ce qui est tout autre chose que de le mettre comme conclusion à nos prières.

Elle est symbolique aussi la suggestion de Jésus: « Avance au large ». En grec « bados » et en latin « altum » signifient « profondeur », et rendent mieux le symbolisme. Il n'y a que dans les profondeurs qu'on puisse tirer le plus authentique de l'homme. Tout ce que nous cherchons en vain autour de nous, se trouve à l'intérieur de nous-mêmes. Mais aller plus au dedans n'est pas aussi facile qu'il pourrait sembler. Cela exige de passer outre aux sécurités du moi superficiel et pénétrer plus avant dans ce que notre être a d'incontrôlable. Teilhard de Chardin disait: « Quand je descendais au profond de mon être, il arrivait un moment où je perdais pied et où il me semblait glisser vers le vide ».

Sur ta parole je jetterai les filets. Le fait que Pierre fasse confiance à la parole de Jésus qui lui ordonne de jeter les filets contre toute logique et à une heure indue a beaucoup de sens. Les tâches importantes, il nous faut toujours les accomplir en faisant confiance à un autre. Nous devons nous laisser conduire par la Vie. Lorsque nous tentons par tous les moyens de maîtriser ce qui est plus grand que nous, sous prétexte que nous en savons plus long que les autres, c'est l'échec assuré. Nietsche lui même disait: « L'être humain n'est jamais allé plus loin que lorsqu'il ignorait où le menaient ses pas ». Ce qui transcende notre être conscient est beaucoup plus important que l'espace minuscule embrassé par notre raison. Nous laisser conduire par ce qui est plus grand que nous, est un signe de vraie sagesse.

N'aies pas peur. La crainte et la vie sont incompatibles. Tant que nous demeurons installés dans la peur, la liberté minimum indispensable à la croissance sera impossible. Nous libérer de toute crainte serait le premier pas pour pénétrer en nous mêmes et découvrir ce que nous sommes réellement. La peur nous paralyse et empêche toute décision authentique en direction de la vraie Vie. La peurla plus nuisible est la peur envers le divin. Si nous avons peur de nous approcher de Dieu, nous pouvons être sûrs que ce Dieu-là est faux. Quand la religion choisit la peur pour faire accomplir ses préceptes, elle manipule l'évangile et abuse de Dieu.

La mer était le symbole des forces du mal. « Pêcher des hommes » était un dicton populaire signifiant « sortir quelqu'un d'un grave danger ». Cela ne veut pas dire, comme on l'a compris souvent aller à la pêche ou à la chasse de quelqu'un pour la cause du Christ. En l'occurence, cela veut dire aider les hommes à échapper à l'influence du mal. Mais seul peut aider l'autre à échapper à l'influence du mal celui qui a découvert la vérité de soi même. Grandir en mon être véritable est le mieux que je puisse faire pour tous les autres et pour la création tout entière. La première et principale tâche de tout être humain est en lui, jamais en dehors. C'est là que nous pouvons découvrir les erreurs d'orientation de sa vocation, quand nous l'envisageons comme faire du bien au prochain. Dieu veut seulementy que tu sois authentique.

Et laissant tout, ils le suivirent. Nous sommes devant un langage théologique. Il est impossible que Pierre et ses compagnons aient laissé là leurs barques, les poissons déjà pris, leur famille, pour partir physiquement à la suite de Jésus. Le thème de la vocation est très important dans la vie de tout être humain. La vie consiste toujours à aller plus loin que là où nous en sommes, et donc le fait même de vivre nous offre les possibilités que nous avons d'aller dans une direction ou dans une autre.

Le thème de la « vocation » est trop souvent restreint au domaine religieux. Rien de plus ridicule que cette position. Le thème se limiterait à une infime minorité. Nous sommes tous appelés par Dieu et personne n'est appelé d'une façon extérieure et ostensible. Les exemples de vocation que nous rencontraons dans l'Ecriture et dans la vie, sont des expériences intérieures de Dieu.

APPLICATION

Aujourd'hui est clarifiée la différence entre le Dieu véritable qui libère, sauve et élève l'être humain jusqu'à son être même, et l'idole qui maintient l'homme à l'écart, en l'humiliant et l'asservissant. Qui plus est, plus l'homme se sentira diminué, plus grande sera l'idole. Ce qui est triste c'est que nous nous sentons plus à l'aise en face de l'idole parce que nous l'avons créée selon nos intérêts. Si nous étions Dieu, c'est ce que nous aurions fait. Mais surtout ce Dieu-là est le plus utile quand il s'agit de maintenir les êtres humains dans la soumission. Le Dieu de Jésus n'admet pas l'esclavage. Ce qu'il désire pour nous est ce qu'il désire pour Lui; c'est pour cette raison qu'il nous rend participants de sa vie même.

Une fois découvert le don de Dieu nous nous sentirons capables de le porter aux autres. Nous sentirons qu'en Lui, nous pouvons tout. Nous ne tomberons plus dans le piège qui consiste à croire qu'il peut nous donner ou non, nous choisir ou non. Dieu choisit tout le monde, et ne choisit personne en particulier. Je ne suis qu'une note isolée, mais indispensable dans le choeur de l'univers. La seule chose à laquelle je puisse tendre est que mon être soit en harmonie avec le reste de la création et aide ainsi à se déployer la symphonie universelle. L'erreur la plus courante est d'élever la voix plus haut que les autres et défigurant le choeur. Découvrir que je ne suis qu'une voix m'aidera aussi à considérer les autres comme indispensables pour former l'ensemble du choeur harmonique.

La vocation n'est en rien différente de mon être propre. Elle n'est pas un acte ponctuel et externe de Dieu en un moment déterminé de mon histoire. Dieu n'a pas d'autre façon de me dire ce qu'il attend de moi que de le faire à travers mon être. Il choisit tout le monde de la même façon, sans exclusives ni privilèges. Le but est le même pour tous. Dieu ne peut avoir de privilèges avec personne. En me créant, il m'a attribué toutes les possibilités d'être que je dois développer au long de mon existence. Il ne peut ni ne doit rien ajouter à mon être. Depuis le début existent en moi toutes les possibilités que je peux déployer, je n'ai rien à attendre de Dieu.

Ma vocation serait de trouver le chemin qui me mène le plus loin dans cette réalisation personnelle, en profitant au maximum de toutes mes ressources. Les différents chemins ne sont, en soi, ni meilleurs ni pires les uns que les autres. L'important est de bien choisir celui qui s'accorde le mieux à mes aptitudes personnelles. C'est à l'intérieur de nous, et pas en dehors, qu'il nous faut chercher notre vocation. N'oublions jamais que tout choix entraîne de nombreux renoncements qui n'ont pas à se convertir en obsessions, mais en la claire conscience de nos limites. Si nous voulons vraiment avancer vers un but, nous ne pouvons pas choisir plus d'un chemin. Le risque de nous tromper ne doit pas nous paralyser, car même si nous nous trompons, si nous faisons tout ce qui dépend de nous, nous parviendrons au but, fut-ce avec de plus grands efforts.

Fray Marcos

(Traduction Maurice Audibert)