Mt 22, 34-40

Ayant entendu Jésus réduire les Saducéens au silence, les pharisiens reviennent à la charge: « Quel est le plus grand commandement » ? La question n'était pas si simple, la majorité des juristes considérant que tous les commandements avaient la même importance. Certains soutenaient que le respect du sabbat était la première obligation pour tout Israelite. D'autres défendaient l'amour du prochain comme le plus important. Il n'était venu à l'esprit de personne qu'il y avait deux commandements principaux. Jésus répond en récitant le « shema » (Ecoute...) que tout Juif pieux récitait deux fois par jour (Dt 6, 4-9), mais il ajoute une référence à Lev 19,18, enjoignant d'aimer le prochain comme toi même.

L'originalité de Jésus réside dans l'importance qu'il donne à la proposition d'unir les deux commandements. Il ne fait que citer deux textes de l'AT. Il ne s'agit pas que d'une juxtaposition ou d'une équivalence. C'est une identification qui de plus prépare le terrain à Jean déclarant sans ambages: « Je vous donne UN commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres comme moi je vous ai aimés » (Jn 13,34). C'est le nouveau commandement qui rend caduque la Loi. La différence entre les deux alliances devient claire. Après vingt siècles, nous ne l'avons toujours pas compris.

La valeur absolue de chaque personne est une proposition exclusive de Jésus. Jusqu'alors, l'individu ne comptait que comme membre du groupe et lui appartenant. Vu sous cet angle, la seule chose intéressante étaient les manifestations de l'amour, pas l'amour lui même. On ne parvient pas à l'amour exigé par Jésus par l'accomplissement d'un précepte. Il ne s'agit plus d'une loi, mais d'une attitude.

Jésus modifie radicalement le concept de « prochain ». Pour un juif, le prochain était celui qui appartenait au peuple, à la rigueur le prosélyte. Jésus supprime cette barrière et pose comme principe que nous sommes tous égaux aux yeux de Dieu. Le christianisme n'a pas toujours su transmettre cette idée d'égalité et nous avons continué à croire que nous sommes les élus et que Dieu est notre Dieu, comme l'ont toujours cru les juifs.

Jésus ne propose comme premier commandemant ni d'aimer Dieu, ni de l'aimer lui même. Dieu

est don total et ne demande rien en échange. Il n'a besoin de rien de notre part et nous ne pouvons rien lui donner. A proprement parler, Dieu n'aime pas et ne peut être aimé, il est amour.

Ce qu'exige Jésus n'est pas en relation à Dieu, mais à l'homme. Continuer à proposer les commandements de la « Loi de Dieu » comme un cadre de la vie en communauté, c'est n'avoir ni compris ni accepté le message de Jésus; Paul l'avait dit clairement: « Qui aime accomplit toute la Loi ». Il ne s'agit pas d'une nouvelle loi, mais de rendre inutile toute loi, toute norme, tout précepte. L'amour ne peut exister qu'entre égaux. Si je me considère supérieur ou inférieur à l'autre, ma relation ne sera jamais de l'amour. Ce que demande Jésus, c'est que je désire pour les autres tout ce que je désire pour moi. Est-ce que je crois vraiment faire la charité quand je donne au mendiant les vieux vêtements que je ne mets plus? Le « comme toi même » (que Jésus dépasse aussi avec le « comme je vous ai aimés » nécessiterait un plus long commentaire. Si je me considère supérieur ou inférieur à l'autre, ma relation ne sera jamais de l'amour. Ce que demande Jésus, c'est que je désire pour les autres tout ce que je désire pour moi. Est-ce que je crois vraiment faire la charité quand je donne au mendiant les vieux vêtements que je ne mets plus?

Soulignons encore l'impossibilité d'accepter le message de Jésus sans abandonner l'idée de Dieu de l'AT. C'est le piège où sont tombés les premiers chrétiens qui étaient tous des juifs, c'est la clé pour comprendre les contradictions apparentes dans l'Evangile. Une fidélité excessive à l'institution empêche de parvenir au commandement nouveau. Si Jésus critiqua si durement les institutions religieuses de son temps (le temple, la loi, le culte), c'est qu'elles étaient devenues un obstacle pour arriver à l'homme.

L'amour consiste à développer la capacité qu'a un être de sortir de soi et d'aller à l'autre pour l'enrichir comme personne. On ne peut aimer Dieu directement car on ne le connaît pas. Dieu n'est pas un sujet que je puisse rencontrer. Iln'est en rien différent de moi ou de la création. Aimer Dieu, ce n'est pas faire quelque chose pour Lui, mais permettre que Lui, qui est amour, te trouve.

Je montrerai que je suis ouvert à l'Amour qu'est Dieu si j'aime les autres. L'amour ne peut être un précepte, mais ses manifestations si. Le danger est de confondre l'Amour avec une de ses manifestations.

.....L'amour est le seul chemin vers un développement harmonieux de l'être. Dépasser l'égoïsme n'est pas renoncer à quoi que ce soit, c'est faire grandir en nous l'humanité. Le problème c'est que cet enrichissement a lieu en notre être véritable, et cela ne nous intéresse pas trop.

Il faut comprendre que l'amour n'a rien à voir avec le désir d'être aimé par l'autre. Ce désir est instinctif et ne va pas plus loin que l'intérêt égoïste. La plupart de temps, quand nous disons « je t'aime », nous voulons dire en réalité « je veux que tu m'aimes ». Cela n'a rien à voir avec le message de Jésus. Ce qui fait le plus peur à un enfant, c'est que ses parents cessent de l'aimer. Les personnes âgées sont obsédées par la peur d'être une gêne pour leurs enfants.

C'est être ignorant que de croire que nous pouvons aimer Dieu alors que nous n'aimons pas le prochain, ou pire encore que nous puissions aimer beaucoup quelqu'un et aimer peu ou pas du tout quelqu'un d'autre. L'amour est unique parce qu'il est attitude personnelle. L'amour est spécifique chez la personne qui aime et non en la personne aimée. Il doit exister avant de se manifester. Ce que perçoivent ceux de l'extérieur ne sont que les manifestations de cet amour. L'attitude vitale est unique en chaque personne, mais je dois manifester l'amour de façon distincte selon chacun.

Méditation-contemplation

Ton être profond c'est l'amour et rien de plus que l'amour.
Le découvrir est le but de tout être humain.
La bonne nouvelle apportée par Jésus,
c'est que tu peux parvenir à t'identifier avec ce qu'est Dieu.

Si tu penses: je veux aimer, mais j'en suis incapable,
c'est que tu n'as pas pris la bonne route.
L'amour que Jésus veut de nous est le fruit d'une découverte,
que tu ne peux faire qu'en marchant vers l'intérieur de toi.

Cet Amour-là, la raison seule le verra comme une folie
parce que son objectif est la vie avec une minuscule.
Tu peux découvrir la VIE au delà du raisonnable,
la VIE de Dieu qui est en toi et en toutes choses.

Fray Marcos

(Traduction Maurice Audibert)